La nouvelle tendance des films français des années soixante qui s'est opposée au cinéma officiel a couplé avec le procès de la décolonisation. Parmi les réalisateurs de la Nouvelle Vague, Alain Resnais et Chris Marker sont conscients de ce phénomène en faisant ensemble le documentaire Les statues meurent aussi qui dénonce le colonialisme et l'impérialisme des années cinquante. Muriel par Resnais et La Jetée par Marker sont sorties en 1963, et ces films traitent le problème de la mémoire des événements historiques à propos de la guerre d'Algérie à travers la fiction. Dans cette dissertation, je voudrais traiter la représentation de la ville dans des deux films à partir de la notion de Gilles Deleuze sur «l’espace quelconque» et la politique dans le cinéma moderne. Selon Deleuze, «la situation optique et sonore» dans «l'image-temps», le cinéma moderne comme la nouvelle vague, s'établit dans l'espace quelconque au lieu dans l'espace bien qualifié par l'ancien réalisme dans la situation sensori-motrice de «l'image-mouvement», le cinéma classique. Il affirme aussi que l'interstice entre images devient important dans le cinéma moderne. Je voudrais montrer comment cet interstice entre des images des deux films entraîne la fissure dans la représentation de l'espace en analysant trois points suivants ; la politique de la non-linéarité de l'image-temps comme «le cinéma mineur», l'entrecroisement de l'espace de l'archive et l'espace narratif, et l'image traumatique.

Deleuze remarque que le cinéma politique moderne sera caractérisé par «le peuple manqué», en contraste avec le cinéma classique montrant «le peuple existant», et cette notion est liée à l'autre concept, «la literature mineure», que Deleuze analyse dans les oeuvres de Kafka. Dans le cinéma mineur, la virtualité et la possibilité émergent car il focalise le peuple qui n'est pas encore existant. Ce cinéma mineur éclate surtout dans le tiers-monde «à l'état de perpétuelles minorités, en crise de l'identité collective», or Muriel et La Jetée qui juxtaposent les images de ville avec les ruines par la guerre provoquent la dissolution de l'espace nationale bien déterminé : ce sont deux exemples du cinéma moderne politique dans le monde occidental. Le montage qui perturbe la ligne temporale et la structure du spiral de l'histoire dans deux films est la particularité de l'imagetemps, qui est toujours vers le temps différencié, non chronologique en confrontant l'histoire chronologique.

Ensuite, dans ces deux films, la ville est représentée comme l'entrecroisement de l'espace narratif −le terrain de jeux et déplacement−, et l'espace archive −la carte topographique qui conserve la mémoire de lieux−. Dans Muriel, le portrait de Boulogne-sur-Mer en tant que la ville moderne reconstruite qui contient la mémoire collective du bombardement de la Seconde Guerre Mondiale (l'espace de l'archive) s'est croisé avec les lieux où la mémoire individuelle de chaque personnage bascule (l'espace narratif) en liaison avec une autre histoire, celle de l'Algérie. Dans La Jetée, le cinématogramme, qui combine l'image photographique du temps figé dans le passé, en représentant l'espace de l'archive, et l'image filmique par le montage, en fabriquant l'espace-temps de la narration, construit les images parisiennes.

Troisièmement, les images traumatiques sont importantes dans les deux films. Les personnages principaux sont possédés par les images du passé, celle de la guerre et de la mort, et les villes françaises sont représentées comme les lieux qui cachent ces images catastrophiques. Selon Cathy Caruth, la particularité du trauma comme expérience inassimilable ouvrait la possibilité d’accéder à la complexité de l'histoire et de connecter des autres. Le flash-back du trauma serait relié avec «les troubles de la mémoire et les échecs de la reconnaissance» dans l'image-temps. C'est là que la politique de cinéma mineur du peuple manqué apparaît car ce cinéma est pour le procès de l'actualisation de l'inexistant qui s'embranche sur un devenir les autres.

Enfin, l'espace urbain des deux films est où les mémoires divers s'entrecroisent non chronologiquement, comportant la possibilité de voix plurielles hors de l'histoire majuscule.